Que nous enseignent les racines de l’art de la persuasion ?

Nous sommes dans une époque où l’on parle beaucoup d’influence, de leadership, de charisme. C’est intéressant de se plonger dans le passé pour comprendre les racines de cet art de la persuasion qui remonte très loin. Ceci complète notre article sur l’art oratoire.

On pourra constater que le contexte historique influence beaucoup la manière d’utiliser les outils de la parole.

Dans la culture occidentale, c’est la Grèce de l’époque de Platon et d’Aristote (il y a 2500 ans) qui est prise en référence pour l'art de bien parler, la rhétorique.

L'école d'Athène. détail (Platon à gauche, Aristote à droite), Raphael vers 1511.

Dans « Phèdre », Platon en donne une définition.

« Eh bien, somme toute, l'art de Ia rhétorique n'est-il pas « l'art d'avoir de l'influence sur les âmes » par le moyen de discours profonds non seulement dans les tribunaux et dans toutes les autres assemblées publiques, mais aussi dans les réunions privées, un art qui ne varie pas en fonction de Ia petitesse ou de l’ampleur du sujet traité, et dont l’emploi, j’entends l’emploi correct, n'est en rien plus honorable dans les sujets sérieux que dans les sujets futiles ? » (Trad. Brisson, 1989, p. 133-134)

Déjà à cette époque, il y avait deux courants, pourrait-on dire. D’un côté, il y a ceux qui utilisaient cet art de la persuasion pour des fins d’éducation et d’éthique. On parle dans ce cas de psychagogie qui est basée sur une connaissance de l’âme et a pour but de proposer une ligne de conduite comportementale, l’ethos. C’est la voie de Platon, qui remonte aux pythagoriciens.

Et puis, il y a ceux qui utilisent ces outils dans le but de convaincre sans se préoccuper de la vérité. Il s’agit d’argumenter pour défendre ses opinions. C’est la voie des politiques, magistrats et sophistes de l’époque.

Il faut bien dire que c’est cette voie qui triomphe dans le monde actuel, même si l’autre voie continue son chemin.

L’art de la persuasion n’est pas propre à la Grèce. En chine également, et à la même époque, dans un contexte de guerres entre royaumes (comme en Grèce, la guerre des cités grecques), l’art de la persuasion est utilisé par les politiques et les négociateurs (intercesseurs itinérants) de l’époque. Il existe un traité de l’art de la persuasion écrit par Guiguzi, le pendant pour la diplomatie, de l’art de la guerre de SunTzu, beaucoup plus connu.

Guiguzi est le maître de la persuasion de l’époque. C’est un opportuniste avisé. On dirait aujourd’hui un réaliste... Il faut suivre l’évolution du monde qui est lié à un ordre naturel des choses, et y rechercher son intérêt.

« Dans le monde, il n’y a rien de constamment noble, les choses n’obéissent pas toujours à la même règle. […] Il faut prendre comme maître celui avec qui les choses peuvent réussir et les plans s’accorder. S’accorder avec une chose sépare forcément d’une autre, un même plan ne permet pas d’être loyal de deux côtés, il y a nécessairement une opposition. » Guiguzi

Guiguzi est une sorte d’anti Confucius et il ressemble à la description que fait Confucius de l’homme vulgaire. « L’honnête homme envisage les choses du point de vue de la justice, l’homme vulgaire, du point de vue de son intérêt. » Guiguzi

Il s’agit de pouvoir persuader, influencer, quitte à manipuler, pour atteindre ses fins. Et cela en fonction du contexte très changeant de guerre de cette époque des royaumes combattants. Pour lui, la parole est l’outil suprême.

« La bouche est la porte du cœur. Le cœur est le maître de l’esprit. La volonté, les désirs, les pensées, les stratagèmes, tous entrent et sortent par elle. » Guiguzi

Bien sûr, cet art de la persuasion chinois est en rapport avec la philosophie taoïste.

« Diviser c’est ouvrir et parler, et cela relève du yang. Rassembler, c’est fermer et se taire, et cela relève du yin. Quand le yin et le yang s’accordent, tout se passe raisonnablement du début à la fin. » Guiguzi

Il met en avant la connaissance de ses interlocuteurs, la recherche de leurs désirs et besoins, et l’observation du non verbal pour déceler les failles. L’objectif est de s’adapter et de pouvoir proposer les solutions adéquates.

« Si l’on veut entendre, il faut d’abord se taire. » Guiguzi                

« Être écouté lorsque l’on parle requiert d’entrer en sympathie avec les sentiments de l’autre, c’est pourquoi on dit : celui qui est écouté est en sympathie avec les sentiments. » Guiguzi              

Comme nous le voyons, tous les outils de la communication persuasive sont déjà en place depuis plus de 2500 ans. Et malgré cela, la communication reste quelque chose de difficile pour tous. Cela montre bien que ce n’est pas inné et qu’il faut apprendre à bien communiquer et à persuader et qu’il y a différents niveaux de maîtrise.

L’époque influence beaucoup la manière d’utiliser les outils et surtout leur finalité. Et il faut observer qu’à chaque époque (en Occident comme en Orient), il y a une lutte entre ceux qui recherchent la vérité et la sagesse (Confucius, Platon par exemple), et ceux qui recherchent leur propre intérêt. Tout deux utilisent les mêmes outils mais pas de la même façon, ni avec la même finalité.

A bientôt pour d’autres articles sur ce thème.

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Bibliographie :

  • L'art de la persuasion, Guiguzi, Payot et Rivages, 2019
  • L'art de parler dans le Phèdre de Platon, Alain Petit, C.N.R.S. Editions | « Hermès, La Revue ». 1995/1 n° 15 | pages 31 à 40. Lien.